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Rapport de synthèse

Association des Présidents des Cours suprêmes judiciaires de l’Union européenne

La représentation et la défense des parties devant les Cours suprêmes des Etats de l’Union européenne

Rapport de synthèse

Avant d’entrer dans le vif du sujet, deux précisions préalables s’imposent :

Une précision de vocabulaire, d’abord : si la procédure pénale française opère une distinction entre, d’une part, l’assistance d’une partie et, d’autre part, sa représentation par un mandataire de justice, il semble que cette distinction conceptuelle ne recouvre pas exactement la même réalité dans l’ensemble des autres systèmes objet du présent rapport.

On soulignera d’emblée que, reprenant la terminologie du droit français(1), lorsque dans la suite de nos propos nous emploierons le terme d’"assistance" ce sera pour évoquer l’acte consistant à conseiller une partie et à présenter sa défense écrite puis, éventuellement, orale devant la Cour de cassation ; et lorsque nous parlerons de "représentation" d’une partie, ce sera par référence à l’intervention de celui qui reçoit de son mandant le pouvoir d’accomplir les actes de la procédure en son nom : il s’agit du mandat "ad litem", que l’on désigne parfois sous le terme de "postulation".

De plus, à cette différence terminologique est venue, parfois, s’ajouter une difficulté tenant à l’incertitude sur le sens exact que chacun des rédacteurs des rapports préparatoires avait voulu donner à ces deux termes.

Une précision de chiffres, ensuite : vingt et un rapports nous ont été adressés sur vingt-cinq, d’une qualité générale satisfaisante et certains vraiment excellents. Tous ont essayé, malgré la diversité des systèmes étudiés, de se couler dans le modèle de réflexion proposé.

C’est donc de cette diversité et de cette qualité que les trois rapporteurs de synthèse ont tenté de se faire les fidèles interprètes.

Dans un premier temps, nous poserons le cadre institutionnel de la représentation et de l’assistance en étudiant la typologie des différentes Cours suprêmes puis l’existence ou non d’un corps d’avocats spécialisés ; ensuite, nous étudierons les mécanismes de la représentation et de l’assistance, d’une part, en constatant l’éclatement des modèles présentés par les différents rapports, d’autre part, en étudiant le cas particulier de l’aide juridictionnelle ; dans un troisième temps, nous aborderons la prospective générale telle qu’on peut l’envisager à travers les différents rapports.

I - CADRE INSTITUTIONNEL DE LA REPRÉSENTATION ET DE L’ASSISTANCE

Il nous a paru intéressant de dresser une typologie des différentes Cours suprêmes judiciaires avant de nous intéresser à l’existence ou non d’un corps d’avocats spécialisés dans les différents systèmes juridiques.

A - Typologie des différentes Cours suprêmes judiciaires

Les Cours étudiées nous sont apparues étroitement dépendantes de l’histoire et de l’organisation de l’Etat, de la nature et de la portée du contrôle qu’elles exercent, étant toutefois observé que partout une spécificité est reconnue à la matière pénale.

1 - Influence de l’histoire et de l’organisation de l’Etat

Avant d’aborder cette question, il convient de faire une remarque importante car plusieurs rapports en font état : un texte fondateur comme la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et son application par la Cour de Strasbourg, ont contraint les anciennes démocraties à intégrer, non seulement les principes énoncés dans ce texte mais aussi l’interprétation qui en est faite par les juges européens, pour mieux "s’imprégner" de ce corpus ; en revanche, les Etats ayant adhéré plus récemment au Conseil de l’Europe avaient, pour plusieurs d’entre eux, directement intégré dans leur ordre juridique interne des pans entiers de cette sédimentation cinquantenaire. Preuve de cette influence de la CEDH, un certain nombre d’Etats nouvellement européens ont immédiatement prévu dans leur système juridique, une procédure tirant les conséquences des "arrêts de condamnation" de la Cour. La France, vieille démocratie, ne l’a fait que par une loi du 15 juin 2000, et encore en se limitant à la matière pénale.

Ceci observé, c’est presque une évidence d’affirmer que l’organisation des différentes Cours suprêmes, au delà des appellations qui varient d’un Etat à l’autre, est étroitement dépendante de l’histoire et de l’organisation de l’Etat, selon notamment qu’il est de structure unitaire ou fédérale, mais aussi au regard de la conception que l’on y a de la démocratie.

Illustrons immédiatement notre propos sur l’influence que peut exercer l’organisation de l’Etat sur le système judiciaire avec l’exemple de l’Allemagne : la Loi Fondamentale de 1949 avait prévu une véritable Cour suprême, qui n’a jamais vu le jour et qui, par un amendement constitutionnel de 1968, a cédé la place à cinq cours fédérales installées dans cinq villes différentes, aucune ne siégeant toutefois à Berlin ou à Bonn. En outre, c’est une particularité qui mérite d’être soulignée, la Cour Constitutionnelle Fédérale de Karlsruhe, dont la création remonte à 1951, peut "censurer" toute décision des autres Cours dites suprêmes.

Le Royaume-Uni, de son côté, n’est pas non plus doté du système uniforme qu’on peut trouver dans d’autres pays, puisque la Chambre des Lords est compétente pour l’ensemble du Royaume-Uni en matière civile et seulement pour l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord en matière pénale. On ajoutera que les conditions de recevabilité des recours devant la Chambre des Lords varient suivant que ceux-ci sont formés contre une décision de la cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles, de la cour d’appel d’Irlande du Nord ou de celle d’Ecosse.

A l’inverse, la Cour suprême espagnole, qui siège à Madrid, a compétence sur l’ensemble du territoire en matière civile, pénale, administrative et même militaire.

La chambre pénale de la Cour non seulement connaît des pourvois en cassation et en révision, mais encore tient de la Constitution une compétence pour instruire et juger les causes visant le chef et les membres du gouvernement, le président des deux assemblées et les parlementaires, mais aussi le président et les magistrats de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle ainsi que différents hauts magistrats.

Par ailleurs, pour pallier l’absence de double degré de juridiction en matière criminelle, sur le fondement de l’article 14.5 du Pacte international des droits civiques et politiques du 19 décembre 1966, la Cour suprême s’est vue reconnaître une assez large compétence pour examiner la valeur et la force probante des éléments de preuve retenus pour la condamnation ; cette compétence ne lui permet pas, cependant, de revenir sur les faits.

Ces trois exemples ont été choisis à dessein tant ils nous sont apparus particulièrement révélateurs de l’influence que peuvent exercer l’histoire et l’accession d’un Etat à la démocratie sur l’organisation judiciaire.

2 - Nature et portée du contrôle exercé

- Sur la nature du contrôle, quels que soient les appellations ou les modes d’organisation, ce qui fonde la légitimité de chacune de nos Cours suprêmes judiciaires c’est, toujours et partout, l’exercice d’un contrôle de la légalité, même s’il y a des nuances.

A ce stade de l’exposé, le moment est venu d’apporter une précision d’ordre terminologique afin d’éviter de laisser planer une incertitude qui pourrait obérer la suite des travaux. En effet, si par facilité de langage compte tenu de la diversité des appellations, nous employons depuis le début de ce rapport le terme générique de "Cours suprêmes", pour désigner ce que l’on pourrait autrement qualifier de "juridictions supérieures", et qui serait une appellation plus exacte d’un point de vue sémantique, il nous est apparu qu’aucun des Etats de l’Union européenne ne disposait, à proprement parler, d’une véritable "Cour suprême" entendue au sens que connaissent les Etats-Unis d’Amérique où cette juridiction supérieure a, d’une part, la faculté de sélectionner le contentieux attrait devant elle sur la base du contentieux de l’ordonnance de certiorari et, d’autre part, est compétente pour interpréter la Constitution, ce qui n’est le cas d’aucune des Cours suprêmes judiciaires au sein de l’Union européenne.

Très intéressante semble être, à cet égard, la situation des Cours suprêmes de Finlande et de Suède, dont le rôle est de créer des précédents et dont la saisine est soumise à une décision de recevabilité rendue par la Cour elle-même.

La Cour suprême de la Suède, notamment, n’admet sa saisine que lorsque l’affaire est susceptible de la conduire à établir une nouvelle jurisprudence qui pourra servir de référence aux autres juridictions. La circonstance que la cour d’appel, dont l’arrêt est attaqué, ait commis une erreur de droit n’est donc pas une condition suffisante pour que la Cour suprême déclare le pourvoi recevable. On remarquera, d’ailleurs, que seulement 2% des recours sont jugés recevables par la Cour suprême et, preuve que le système est satisfaisant, les dossiers les plus anciens remontent seulement à l’année 2000.

Tirant les conséquences de ce système, l’Etat prend à sa charge les frais et dépens afin d’encourager les justiciables à soumettre à la Cour suprême les questions susceptibles de créer un précédent.

On peut, sans doute, rapprocher de la situation de la Suède et de la Finlande celle du Royaume-Uni, où le recours devant la Chambre des Lords n’est recevable que lorsque la cour dont la décision est attaquée certifie que cette décision met en cause une question de droit d’intérêt général, ou encore s’il apparaît à cette cour ou à la Chambre des Lords que le problème est l’un de ceux qui devraient être examinés par la haute juridiction. C’est à ce titre qu’elle se saisit actuellement d’un certain nombre de questions touchant aux droits de l’homme et à la matière fiscale.

Ce n’est pas, cependant, le cas de l’Irlande dont la Cour suprême n’opère aucun filtre des affaires qui viennent devant elles, sauf en certaines matières.

En revanche, les Cours suprêmes devant lesquelles le pourvoi est largement accueilli enregistrent des taux d’irrecevabilité nettement supérieurs ; c’est, par exemple, le cas des Pays-Bas où les taux d’irrecevabilité atteignent environ 60% en matière pénale et 40% au civil.

Dans tous les cas, la situation de la Suède, de la Finlande et du Royaume-Uni a paru intéressante à un double titre : d’abord, parce qu’elle est spécifique au sein de l’Union européenne ; ensuite, parce qu’elle pourrait servir de cadre à un prochain colloque de notre association, chaque Cour suprême judiciaire étant à la recherche d’un remède pour réduire le nombre des pourvois.

Revenons au contrôle de légalité : c’est lui qui fonde la légitimité du contrôle exercé par chacune des Cours supérieures, même si l’on observe à la lecture des rapports que l’examen des faits n’est jamais très loin, spécialement en matière pénale.

On peut faire, à cet égard, deux observations : la première, presque superfétatoire, est que lorsque les Cours suprêmes judiciaires opèrent comme juge de la révision, elles sont évidemment juge du fait ; c’est le cas, notamment, en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en France, en Lettonie et en Lituanie.

La seconde observation sera relative à l’Espagne, atypique au sein de l’Union européenne, et qui mérite que l’on s’y arrête quelques instants : en effet, si le rôle de la Cour suprême consiste, par le pourvoi en cassation, à donner une interprétation uniforme de la loi, il est néanmoins deux exceptions notoires à la règle selon laquelle le pourvoi ne concerne que des questions de droit. C’est le cas, d’abord, si la condamnation repose sur une preuve contraire à la constitution.

En outre, et de manière générale, en cas de violation de la loi, sauf s’il s’agit de la violation d’une règle de procédure, la Cour dispose de pouvoirs étendus puisqu’il lui revient de statuer, par arrêt séparé, sur le fond du litige ; elle ne peut, cependant, prononcer une peine plus lourde que celle qui a été infligée.

Plus généralement, à travers la lecture de tous les rapports, on perçoit bien qu’en matière pénale la coupure entre l’examen du droit et la prise en considération des faits n’est jamais aussi radicale qu’on veut bien le dire.

- S’agissant, à présent, de la portée du contrôle exercé, une différence notable existe entre deux systèmes procéduraux : certains adoptent le principe d’une énumération plus ou moins limitative des cas d’ouverture du pourvoi -c’est, généralement, bien qu’avec des nuances, le cas des pays que l’on pourrait qualifier de "latins", très épris d’un droit écrit et précis- ; d’autres, en revanche, généralement les pays de common law, avec là encore des nuances, préfèrent un système parfois qualifié de "discrétionnaire", dans lequel les lois n’énumèrent pas les cas d’ouverture et se limitent à décrire les mécanismes procéduraux, laissant ensuite aux juges le soin de décider de l’admission ou non du recours en fonction de l’intérêt pour le droit que présente la requête-(2).

Néanmoins, la différence entre ces deux systèmes est parfois gommée par le fait que certains Etats de droit latin, la Belgique, l’Espagne, l’Italie ou la France usent d’une théorie qui étrangle certains cas d’ouverture à cassation : il s’agit de la théorie, que l’on appelle en France celle de la "peine justifiée" ou du "support légal" en matière criminelle ; par l’effet de cette théorie, la Cour de cassation peut, car ce n’est pas une obligation, rejeter le pourvoi formé contre une décision contenant une erreur de droit lorsque la peine prononcée aurait, en tout état de cause, pu l’être si l’erreur n’avait pas été commise. Ainsi, la Cour redresse l’erreur, mais ne censure pas la décision puisqu’elle considère que la peine prononcée est "justifiée", et qu’une cassation ne présente donc aucun intérêt pour le demandeur ; en outre, elle évite que ne soit ralentie la procédure.

De même, et au-delà du droit pénal, on peut rattacher à un certain pouvoir "discrétionnaire" des Cours supérieures de droit écrit, c’est le cas en particulier de la France, la pratique des moyens relevés d’office ou encore les rejets opérés, parfois de justesse, grâce à la subsitution de motifs.

3 - Spécificité de la matière pénale

Troisième constante qui ressort de l’étude des rapports préparatoires, par delà les modes d’organisation interne propres à chacune des juridictions supérieures : il existe toujours une spécificité reconnue et affirmée en matière pénale, que cette particularité concerne l’organisation de la cour suprême et/ou qu’elle intéresse l’existence de règles procédurales spécifiques ; dans la plupart des pays, une ou plusieurs chambres au sein de la cour sont spécialisées en matière pénale ; à Malte il s’agit cependant d’une juridiction à part entière -la Court of Criminal Appeal- qui a exclusivement compétence en matière pénale, mais qui fonctionne davantage sur le modèle d’une cour d’appel que sur celui d’une véritable Cour de "cassation".

Cette particularité de la matière pénale se retrouve également dans l’existence de règles spécifiques de procédure, justifiant l’instauration ou non d’avocats ou d’un barreau spécialisés.

B - Existence ou non d’un corps d’avocats spécialisés

Si, jusqu’alors, ce sont les convergences qui ont largement dominé l’étude comparative de l’organisation des différentes Cours suprêmes, on peut sans risque d’erreur affirmer qu’il s’agit à présent d’entrer dans un domaine où ce sont plutôt les différences qui prévalent.

L’opposition semble, en effet, non seulement radicale mais encore définitive entre les Cours suprêmes qui connaissent l’existence d’un barreau spécialisé et celles qui ignorent cette institution.

1 - Absence majoritaire d’un corps d’avocats spécialisés

On peut, d’emblée, constater que les Etats qui ne connaissent pas d’un tel barreau spécialisé sont la majorité ; c’est le cas de l’Autriche, de l’Espagne, de l’Estonie, de la Finlande, de la Hongrie, de l’Irlande, de la Lettonie, de la Lituanie, de Malte, des Pays-Bas, de la Pologne, du Portugal, de la République tchèque, du Royaume-Uni, de la Slovénie et de la Suède.

On notera qu’en Irlande, le libre accès de tout justiciable à la Cour suprême, pourtant affirmé comme un principe, commence à soulever des difficultés, même s’il parait difficile de revenir sur ce système.

2 - Existence minoritaire d’un barreau spécialisé

A l’opposé, seules l’Allemagne, la Belgique et la France disposent d’un barreau spécialisé.

En Allemagne, en matière civile et commerciale exclusivement, du fait qu’il s’agit de domaines réputés "particulièrement délicats", les parties doivent obligatoirement avoir recours à des avocats spécialisés, inscrits à un barreau particulier -l’avocat au Bundesgerichtshof- ; ces avocats ont un monopole pour postuler, conclure et plaider devant cette juridiction. Il s’agit de professionnels choisis parmi des avocats expérimentés, dont le nombre n’est pas fixé par la loi mais varie selon les besoins ; il est actuellement de 31, parmi lesquels 4 femmes.

Ces avocats ne peuvent intervenir devant les autres tribunaux allemands à l’exception de la Cour constitutionnelle fédérale (où d’ailleurs le particulier peut agir en personne), mais ils peuvent le faire devant la Cour de Justice des Communautés Européennes et devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Ils sont, en outre, astreints à une obligation de résidence à Karlsruhe.

En revanche, contrairement au système français, toute idée de "charge" correspondant à l’idée d’un corps d’officiers ministériel est étrangère à ce barreau spécialisé.

Néanmoins, dans les autres domaines, et notamment en matière pénale, le plaideur peut librement choisir son avocat, dès lors qu’il est inscrit à un barreau allemand.

Un tel système n’est pas exempt de critiques, puisque les présidents des cinq Cours suprêmes ont récemment signalé que cette situation était à l’origine de l’irrecevabilité frappant quatre pourvois sur cinq formés en matière de droit du travail, de droit social, de droit fiscal ou de droit administratif ; ces critiques semblent donc militer en faveur d’une extension de la représentation obligatoire par des avocats spécialisés.

En Belgique et en France, le barreau spécialisé regroupe des avocats qui ont la qualité d’officier ministériel ; au nombre 20 en Belgique, ils doivent avoir au moins 10 ans de barreau et suivi une formation spécialisée organisée conjointement par la Cour, le parquet et le barreau, sauf dispense accordée, par exemple, à un avocat réputé.

En France, le nombre de 60, qui n’a pas été modifié depuis une ordonnance du 10 septembre 1817, correspond désormais à celui des charges qui peuvent être organisées sous la forme de sociétés civiles professionnelles regroupant trois avocats au plus ; c’est ainsi qu’actuellement 91 avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation exercent au sein de ce barreau spécialisé. L’idée de charge, héritée en France de l’ancien régime, permet au ministre de la Justice d’exercer un droit de regard sur le successeur de l’avocat aux conseils lorsque ce dernier cède sa charge.

Les conditions d’accès à la profession sont sensiblement identiques à celles existant en Belgique ; s’y ajoute, en outre, l’exigence d’avoir satisfait, sauf dispense, aux épreuves d’un examen d’aptitude à cette profession.

3 - Cas particuliers d’avocats spécialisés au sein d’un barreau non spécialisé

Entre ces deux modes d’organisation, certains Etats ont fait le choix, sans aller jusqu’à la création d’un barreau spécialisé, de réserver l’accès à leur cour suprême à des avocats qui sont, eux, spécialisés : c’est le cas de la Grèce et de l’Italie.

Le système grec apparaît particulièrement original : en effet, pour qu’un avocat puisse intervenir devant la Cour suprême, il doit justifier de deux périodes successives de quatre années d’exercice devant les cours de première instance puis d’appel ; en outre, le nombre des avocats "postulants" devant la Cour suprême est limité à la moitié de celui des avocats inscrits au barreau de Grèce ; cette "inscription" , il serait plus exact de parler de spécialisation, est accordée par le barreau après que le postulant eut satisfait aux épreuves d’un examen professionnel et bénéficie d’une appréciation favorable portée par le barreau sur ses mérites.

Une fois inscrit, l’avocat spécialisé bénéficie d’un monopole pour représenter et assister les parties devant la cour suprême.

L’Italie est, quant à elle, dans une situation que l’on pourrait qualifier, sans faire injure à nos amis italiens, d’une situation "à l’italienne". En effet, il existe un corps spécialisé d’avocats inscrits au tableau spécial de l’Ordre des avocats devant les cours supérieures que sont le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat, la Cour de cassation et la Cour des comptes. Cependant, le nombre de ces avocats spécialisés est si élevé -33 000 sur 155 000 avocats italiens !!!- qu’il semble artificiel de conclure, dans ces conditions, à l’existence d’un barreau véritablement spécialisé...

D’ailleurs, comme le relève avec pragmatisme l’auteur du rapport italien, le nombre d’avocats dits spécialisés est si élevé que certains n’exercent qu’occasionnellement devant la Cour de cassation.

Variété des situations, mais aussi, pourrait-on ajouter, stabilité et permanence des modes d’organisation.

En effet, nous y reviendrons par la suite, les situations qui viennent d’être décrites semblent fonctionner à la satisfaction de chacun, qu’il s’agisse des magistrats ou des avocats ; c’est ce qui explique que personne ne semble souhaiter la création d’un barreau spécialisé, lorsqu’il n’existe pas, ou sa suppression lorsqu’il est en place !

Pourtant, plusieurs tempéraments doivent être apportés à cette affirmation.

En Pologne, d’abord, depuis quelques années la création d’un barreau spécialisé est évoquée avec insistance. Mais les opposants à ce système invoquent la crainte qu’il n’empêche les plus défavorisés d’accéder à la Cour de cassation, du fait que l’aide judiciaire est d’un montant insuffisant pour réparer les inégalités d’accès à la justice. Aussi, ce projet semble-t’il, actuellement, sans avenir.

A l’inverse, le Portugal connaissait jusqu’en 1974 un système dans lequel, sans aller jusqu’à un barreau spécialisé, seuls les avocats ayant plus de 10 ans d’exercice professionnel pouvaient intervenir devant la Cour de cassation ; mais ce système a été abandonné depuis.

On peut également citer le cas de la Slovénie, où le projet de création d’un barreau spécialisé a tourné court, ou celui des Pays-Bas, où un groupe de travail avait proposé, notamment, l’institution d’avocats spécialisés devant la Cour suprême afin de rendre plus efficace le fonctionnement de cette juridiction. Bien qu’une loi promulguée en 1999 ait modifié la procédure pénale devant la Cour suprême en instaurant, par exemple, l’obligation de produire un mémoire écrit, elle n’a pas retenu la proposition relative aux avocats spécialisés. Il est vrai que les barreaux s’étaient montrés très réticents sur ce point, faisant valoir que les avocats possèdent des connaissances suffisantes pour plaider devant la Cour suprême et que, dans les matières où ils s’estiment insuffisamment compétents, ils renvoient leur client à un avocat spécialisé.

Stabilité, donc, mais jusqu’à quand ? L’élargissement de l’Union européenne et la libre circulation -des avocats(3) mais aussi des délinquants- ne vont-elle pas contribuer, comme elles l’ont fait dans d’autres domaines, à un rapprochement des législations et des modes d’organisation ?

Comment les modes actuels d’organisation pourront-ils rester immuables face au mouvement, sans doute irréversible, engagé en faveur d’une reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires au sein de l’Union européenne, que ce soit au civil -depuis, notamment, les conventions de Bruxelles I et II- ou au pénal -avec notamment l’entrée en vigueur du mandat d’arrêt européen- ?

Il est évident qu’une telle évolution imposera à chacun de nous, magistrats comme avocats, d’avoir une connaissance approfondie des règles de droit, mais aussi de procédure, en vigueur au sein des autres Etats de l’Union ; ne s’agit-il pas d’un argument en faveur de la spécialisation des avocats devant les cours suprêmes ?

Une brèche a été, très récemment, ouverte en France par la loi du 11 février 2004, qui transpose la "directive 98/5 du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification a été acquise"(4).

En l’état, aucun de ces deux textes ne s’applique aux avocats aux Conseils, l’article 5 de la directive prévoyant expressément que "dans le but d’assurer le bon fonctionnement de la justice, les Etats membres peuvent établir des règles spécifiques d’accès aux cours suprêmes, telles que le recours à des avocats spécialisés".

A ce propos, il convient de préciser que ni la spécificité, ni même le monopole, des avocats du barreau spécialisé ne sont remis en cause par les juridictions européennes. C’est ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme les a reconnus à plusieurs reprises, à propos de la France, notamment dans l’arrêt Voisine du 8 février 2000.

De même, dans un arrêt rendu le 25 février 1988(5), la Cour de justice des communautés européennes, à propos de l’Allemagne, a reconnu que "l’agrément du Bundesgerichtshof (Cour fédérale suprême) s’effectue dans le cadre d’une admission sélective, à un barreau spécialisé, d’avocats disposant d’une certaine expertise ou compétence techniques".

Il semble donc que les barreaux spécialisés, lorsqu’ils existent, aient encore de beaux jours devant eux.

Et c’est sur ce constat optimiste que sera abordée la question qui fait le pendant, en quelque sorte, de la précédente : celle de l’assistance et de la représentation des parties devant la Cour suprême.

II - MÉCANISMES DE LA REPRÉSENTATION ET DE L’ASSISTANCE

Envisager cette question, qui est au centre du thème choisi pour ce colloque, c’est être confronté à une difficulté qui n’est pas seulement d’ordre terminologique, mais recouvre également, nous le savons bien, des distinctions fondamentales de procédure.

A - Eclatement des modèles

Ce n’est pas pour autant que nous allons retrouver la distinction qui a semblé prévaloir jusqu’à présent entre pays de droit écrit et pays de common law ; en effet, de manière beaucoup plus complexe, force est de reconnaître que c’est à un éclatement des différents modèles que nous a confronté l’étude des différents rapports préparatoires.

1 - Tiers spécialisé ou avocat

Devant certaines Cours suprêmes, non seulement le demandeur au pourvoi n’est pas tenu d’être assisté ou représenté par un tiers spécialisé, mais ce tiers spécialisé peut lui-même avoir des visages différents, même s’il s’agit le plus souvent d’un avocat. En outre, lorsqu’elle est obligatoire, cette intervention pourra se faire à différents stades de la procédure.

Cette intervention peut, en premier lieu, être exigée dès la déclaration du pourvoi, c’est à dire au moment où est formalisé et enregistré le recours ; un tel système peut constituer un premier filtrage, qui sera plus ou moins efficient selon le degré de développement du dispositif d’aide juridictionnelle en vigueur dans l’Etat considéré.

Cette intervention peut, en deuxième lieu, être obligatoire pour la rédaction du mémoire, lorsque la procédure devant la Cour suprême impose une telle formalité au plaideur, à peine d’irrecevabilité du mémoire comme c’est le cas, notamment, en France dans la majeure partie du contentieux civil, mais non en matière pénale.

Enfin, en troisième lieu, le tiers spécialisé peut soit représenter son client pour tout ou partie des actes de la procédure, soit uniquement l’assister à l’audience pour exposer ses arguments selon la distinction que nous avons posée au début de nos propos.

Ainsi, derrière cette question de l’intervention d’un tiers spécialisé, le plus souvent un avocat en matière pénale, se profile également celle de la place qui est accordée aux parties devant la Cour suprême et, plus généralement, des droits et garanties qui leur sont reconnus.

En réalité, les Etats dans lesquels la représentation et l’assistance par un avocat sont obligatoires devant la Cour suprême sont, finalement, largement minoritaires en nombre.

C’est, actuellement, le cas de l’Autriche, du Portugal et de l’Italie où cette exigence ne semble, cependant, pas de nature à limiter le nombre des pourvois compte-tenu, semble-t’il, du nombre considérable d’avocats pouvant intervenir. Une réforme législative en cours va généraliser l’intervention de l’avocat spécialisé au pénal.

2 - Avocat spécialisé ou non

Il s’agit d’un deuxième groupe de pays qui ne prévoient l’assistance et la représentation obligatoires qu’en certaines matières ou, autre variante, tout en prévoyant ou non l’assistance et la représentation obligatoires, ne prévoient qu’en certaines matières l’intervention de l’avocat spécialisé.

Il en est ainsi de la Hongrie où la représentation des parties est obligatoire par un avocat tant en matière civile qu’en matière pénale ; en revanche, en matière civile, le demandeur peut également être assisté par un juriste de profession (conseil juridique).

La situation est exactement inverse en Allemagne où représentation et assistance par l’avocat spécialisé sont obligatoires en matière civile, qui comprend la matière commerciale comme nous l’avons vu précédemment ; en matière pénale, en revanche, comme devant les quatre autres Cours suprêmes, tout avocat inscrit à un barreau peut représenter et assister les parties.

Le monopole reconnu en matière civile et commerciale aux avocats spécialisés est justifié par la compétence technique exigée et le rôle de filtre qu’ils sont en mesure de constituer : d’abord, par l’avis qu’il peuvent émettre sur les chances de succès du pourvoi ; c’est ainsi qu’un avis négatif est suivi dans 25 à 30% des cas du désistement du pourvoi. Ensuite, au moment de l’examen du pourvoi lui-même, la qualité du travail effectué par l’avocat spécialisé contribuant, indiscutablement, à la célérité de la procédure : la durée moyenne d’une procédure en cassation devant le BGH est d’une année- et les irrecevabilités sont rarissimes, contrairement à ce qui est la situation devant les autres cours suprêmes où quatre pourvois sur cinq seraient voués à l’échec, en raison justement du grand nombre de procédures irrecevables.

En Autriche, il est cependant arrivé qu’un avocat spécialisé ne joue pas le rôle de filtre attendu de lui, en soulevant plusieurs centaines de moyens de cassation.

De même, en France le principe est celui du caractère obligatoire de la représentation et de l’assistance, sauf en certaines matières -au nombre desquelles la matière pénale-. La nécessité d’une consultation préalable sur les chances -et les risques !- du pourvoi est une obligation déontologique pesant sur l’avocat aux Conseils, qui est consubstantielle de son statut, et qui est fréquemment invoquée pour justifier la spécificité de sa fonction.

En revanche, en Finlande, les parties peuvent se défendre elles-mêmes devant n’importe quelle juridiction, même si, dans la plupart des cas, y compris les moins compliqués, elles font appel à un professionnel. Depuis 2002, la représentation d’une partie devant une juridiction est subordonnée à la possession d’un diplôme en droit, sauf lorsqu’il s’agit d’un parent proche. Cette réforme a eu pour but à la fois de protéger les parties et de diminuer le nombre de recours voués à l’échec.

C’est un souci analogue qui a conduit les Pays-Bas à réserver, sauf exception, aux avocats, le droit de représenter une partie, ce qui n’empêche d’ailleurs pas ces dernières de se défendre elles-mêmes. On remarquera d’ailleurs que, même si la consultation préalable d’un avocat n’est pas prévue par les textes, dans la pratique, il est très fréquent qu’avant de saisir la Cour suprême, une partie demande une consultation à un avocat sur les chances de succès de son recours et, le cas échéant, y renonce après cette consultation.

De même, en Irlande, la possibilité de se défendre soi-même est largement admise et, contrairement à ce qu’on peut constater pour d’autres pays, les statistiques montrent que le nombre de personnes qui utilisent cette possibilité a considérablement augmenté au cours des dernières années. La personne qui se défend elle-même peut se faire accompagner d’un ami, qui prend des notes et donne des conseils.

Un système assez proche existe au Royaume-Uni sous le nom de Mac Kenzie friend. Ce dernier assiste la partie mais ne peut pas s’adresser à la juridiction. Seul un barrister et, sous certaines conditions, un solicitor, peuvent représenter une partie qui ne veut pas se défendre elle-même.

En Lettonie, les parties peuvent être représentées, dans les affaires civiles, par un avocat ou par le représentant officiel d’une entité juridique (pour les affaires la concernant), par les employés habilités des organismes publics ou municipaux ou par une partie à la procédure qui a été mandatée par une autre. Depuis un arrêt de la cour constitutionnelle du 6 novembre 2003, les parties peuvent également être représentées par un juge, un procureur, un docteur en droit, une organisation non étatique spécialisée dans l’assistance juridique ou un organisme public offrant une assistance juridique gratuite ou encore par toute personne bénéficiant d’une formation juridique de haut niveau. En revanche, dans les affaires pénales, seul un avocat peut représenter une partie.

Enfin l’intervention d’un avocat, mais non spécialisé, est également exigée dans la plupart des autres systèmes : C’est le cas en Belgique, en Estonie -devant la Cour suprême en matière pénale, le nouveau code de procédure pénale, qui entrera en vigueur le 1er juillet 2004, réserve aux avocats le monopole de la représentation des parties- et en Pologne.

Une mention particulière doit être faite à la situation de la Lituanie -où l’intervention d’un avocat n’est obligatoire qu’au regard de la situation personnelle du plaideur (incapable, détenu) ou de la gravité des peines encourues ou prononcées-, et de la République tchèque -où l’intervention d’un avocat est obligatoire pour le dépôt du pourvoi mais ne l’est, dans la suite de la procédure, qu’en certaines matières soit au regard de la peine encourue soit au regard de la situation personnelle de l’accusé (mineur, incapable, gardé à vue ou placé dans un établissement sanitaire, accusé qui exécute sa peine ou est décédé)-.

La coexistence de ces différents systèmes amène à s’interroger, non seulement, sur leur pertinence mais, également, sur leur conformité au regard de l’exigence du droit d’accès effectif à un tribunal posé par la Convention européenne des droits de l’homme.

3 - Demandeur ou mandataire

La Cour européenne des droits de l’homme a été saisie de trois types de questions à ce propos : celle de l’intervention obligatoire d’un avocat, fût-il ou non spécialisé ; celle du recours obligatoire à un avocat spécialisé ; celle de la faculté pour le demandeur personnel d’intervenir sans mandataire.

Dans une affaire "Gillow c/ Royaume Uni", la Cour a jugé que l’obligation de constituer avocat pour s’adresser à une haute juridiction était conforme au principe du droit d’accès effectif à un tribunal(6).

Mais dès lors qu’elle admettait que les législations nationales pussent ainsi encadrer, voire limiter, l’accès aux juridictions supérieures, la Cour a corrélativement veillé à ce que des garanties soient accordées aux justiciables qui, par choix ou pour toute autre raison, ne sont ni représentés ni même assistés par un avocat.

C’est ainsi que, dans la ligne de l’arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd(7), rendu le 31 mars 1998, elle a reconnu au demandeur pénal, non représenté(8), le droit de se faire communiquer le sens des conclusions de l’avocat général ainsi que d’y répondre par écrit, en précisant que le fait pour le requérant de n’avoir pas demandé l’aide juridictionnelle pour être représenté par un avocat aux conseils ne signifiait pas qu’il avait "pour autant renoncé au bénéfice des garanties d’une procédure contradictoire" (§32 arrêt Voisine et §51 arrêt Meftah et alii).

Cependant, la Cour de Strasbourg, dissociant en quelque sorte la représentation d’un des attributs principaux de l’assistance, à savoir la "plaidoirie", n’est pas allée jusqu’à reconnaître au demandeur le droit de se défendre lui-même en plaidant en personne devant la Cour de cassation, étant rappelé que devant cette juridiction on ne plaide pas mais on se borne, après autorisation du président, à de brèves observations orales.

Comme elle l’a déclaré dans un arrêt Voisine du 8 février 2000, "il est clair que la spécificité de la procédure devant la Cour de cassation peut justifier de réserver aux seuls avocats spécialisés le monopole de la prise de parole" (§33), "réserve", a-telle ajouté dans l’arrêt Meftah, Adoud et Bosoni précité(9), qui "n’est pas de nature à remettre en cause la possibilité raisonnable qu’ont les requérants de présenter leur cause dans des conditions qui ne les placent pas dans une situation désavantageuse". (§47).

Et la Cour de conclure, dans ce dernier arrêt, que "compte tenu du rôle qui est celui de la Cour de cassation et eu égard aux procédures considérées dans leur ensemble...le fait de ne pas avoir offert aux requérants l’occasion de plaider oralement, personnellement ou par l’intermédiaire d’un avocat inscrit à un barreau, n’a pas porté atteinte à leur droit à un procès équitable au sens des dispositions de l’article 6" (§47).

Ainsi, dans ces affaires françaises, la Cour de Strasbourg n’a jamais remis en cause l’existence du corps spécialisé des avocats aux Conseils.

Il est finalement intéressant de constater que, prenant à l’évidence en considération les arguments qui militent en faveur de l’assistance et de la représentation obligatoires devant les Cours suprêmes, les juges européens après avoir admis le principe et les modalités d’un nécessaire filtrage des pourvois ont, ensuite, souhaité accorder des garanties en contrepartie au justiciable qui se défend seul en veillant, cependant, par un habile et subtil mouvement de balancier à encadrer les droits ainsi reconnus dans des limites raisonnables.

Evoquer les droits reconnus aux parties au cours de l’instance en cassation ne peut être dissocié de la question, parfois taboue, de la rémunération de l’avocat et de l’efficience du système d’aide juridictionnelle.

Rappelons, néanmoins, que la Suède connaît, de ce point de vue, un système très original qui est la conséquence de la conception que l’on se fait, dans ce pays, du recours devant la Cour suprême.

B - Cas particulier de l’aide juridictionnelle

Dans ce domaine également, la situation se caractérise par une très grande diversité des situations, en fonction des deux paramètres suivants : l’état de développement du système d’aide judiciaire, d’une part, les modalités et la forme de l’aide accordée, notamment du point de vue de l’existence ou non de barèmes de ressources, d’autre part.

Il est, enfin, une question très discutée en Europe actuellement qui est de savoir s’il est possible de limiter l’accès au juge par l’examen préalable du caractère a priori sérieux du, ou des, moyen(s) de droit proposé(s), surtout lorsque cette appréciation est confiée à un organe administratif.

1 - Condition de base : l’existence ou non d’un plafond de ressources

Dans plusieurs systèmes, il existe un bureau d’aide judiciaire qui est chargé d’examiner les demandes déposées par les justiciables.

Un système de barème légal en fonction de la valeur en litige existe en Allemagne où ce sont les mêmes magistrats du BGH qui examinent le bien-fondé de la demande d’aide judiciaire, désignent l’avocat choisi par la partie, puis examinent ensuite l’affaire au fond.

Un recours est, généralement, prévu contre la décision de refus d’octroyer l’aide judiciaire prise par cet organisme ; c’est aussi le cas en Belgique, en Italie et en France ; dans ce dernier pays, le recours est porté devant la Premier Président de la Cour de cassation.

Mais, par delà cette diversité de situation, il est également intéressant d’envisager cette question sous l’angle du droit d’accès effectif à la cour suprême.

2 - Condition supplémentaire : le moyen sérieux

En effet, s’agissant d’engager des deniers publics, il n’est pas illégitime que certaines législations aient prévu un mécanisme de filtrage tenant, notamment, à l’exigence d’un moyen sérieux qui conditionnerait l’allocation de l’aide judiciaire.

C’est, notamment, le cas en Belgique, en Pologne, ou encore en France où cette situation a donné lieu à plusieurs arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme, notamment dans une affaire "GNAHORÉ c/ France" du 19 septembre 2000.

La situation de l’Italie est, à cet égard, intéressante : s’il n’y a aucune exigence d’un moyen sérieux au pénal, au civil, en revanche, non seulement cette exigence existe mais son examen relève de l’avocat, dont la décision peut être soumise à un recours exercé devant le juge.

3 - Moyen sérieux et Cour européenne des droits de l’homme

Dans cette affaire "GNAHORÉ c/ France", la Cour, après avoir rappelé que l’exigence d’un "moyen sérieux" s’inspirait "sans nul doute du légitime souci de n’allouer des deniers publics au titre de l’aide juridictionnelle qu’aux demandeurs dont le pourvoi (avait) une chance raisonnable de succès" (§41) ) précise que "le système mis en place par le législateur français offr(ait) des garanties substantielles aux individus, de nature à les préserver de l’arbitraire" (41). Puis elle conclut que le rejet d’une demande d’aide juridictionnelle faute de moyen sérieux, dans une matière -l’assistance éducative- où la représentation par un avocat aux conseils n’était pas obligatoire(10), ne porte pas atteinte à la substance même du droit du requérant d’accéder à un "tribunal".

Mais il semble bien qu’entre temps la Cour ait admis, en toutes matières et pas seulement dans celles n’exigeant pas de représentation, le filtre du moyen sérieux(11) imposé par le droit français.

Cette jurisprudence a donné lieu à de vives critiques, au premier rang desquelles celles exprimées par les juges minoritaires, dans les affaires "DEL SOL" et "SAADI", qui ont stigmatisé la véritable "discrimination" opérée à l’égard des justiciables les moins fortunés, seuls soumis à l’examen préalable du caractère sérieux de leur pourvoi en cassation. A ce propos, les juges soulignent que l’argument invoqué par le gouvernement français du filtrage nécessaire des pourvois en cassation est devenu obsolète dès lors que l’article 27 de la loi organique du 25 juin 2001 offre à la Cour de cassation, statuant en formation restreinte de trois membres, la faculté de déclarer non admis les pourvois irrecevables ou non fondés sur un moyen sérieux, et ce à l’égard de tout justiciable. Et les deux juges de conclure avec force : "Au-delà même de la doctrine libérale initiée en 1979 avec l’arrêt Airey contre Irlande (9 octobre), nous croyons que le temps est venu pour la Cour de s’engager plus avant dans la reconnaissance pleine et entière de l’accès au droit, et donc à la justice(12), pour les plus démunis".

Il est, également vrai que, dans le cas de la France, comme cela a été exposé, le monopole des avocats aux Conseils n’est pas absolu, puisque s’il exclut l’intervention des avocats aux barreaux, il s’accommode de celle du demandeur au pourvoi lui-même qui peut exposer ses arguments dans un mémoire qui doit, à peine d’irrecevabilité, être signé de sa main et déposé dans un certain délai.

III - PROSPECTIVE GÉNÉRALE

L’approche comparative aura permis, en premier lieu, de dresser un constat et, en second lieu, de dévoiler un "paradoxe".

A - Le constat

Le constat, tout d’abord : il ne semble pas exister de lien évident entre le mode de fonctionnement d’une Cour suprême donnée et l’existence ou non d’un corps d’avocats spécialisés disposant d’un monopole pour représenter et assister les parties au cours de l’instance en cassation.

Parmi les arguments qui sont avancés pour justifier l’existence d’un corps d’avocats ou d’un barreau spécialisés, est fréquemment avancé le fait qu’ils contribuent au filtrage des affaires, du fait que l’avocat a une connaissance précise des techniques de cassation et de la doctrine de la Cour suprême qui lui permet d’identifier les précédents pertinents et de les invoquer à bon escient.

Et dans les systèmes dans lesquels il n’existe pas d’avocats ou de barreau spécialisés, ce filtrage est parfois effectué par la cour elle-même : c’est le cas, par exemple, en Finlande et en Suède.

En Finlande, où la saisine de la Cour est soumise à une décision de recevabilité rendue par la Cour elle-même, la Cour suprême fonctionne sur le modèle du précédent depuis une bonne vingtaine d’années. Pendant toute cette période, la question a été posée de savoir s’il fallait ou non exiger des avocats qui interviennent devant elle des compétences particulières sanctionnées par un examen. Le conseil de l’association des barreaux a écarté cette idée, comme l’a fait également le rapport d’une commission mise en place par le gouvernement ; l’accord s’est réalisé pour considérer que dès lors que la formation des avocats serait améliorée et mieux contrôlée, il n’était pas nécessaire de créer une catégorie particulière d’avocat à la Cour suprême ; il était, au surplus, allégué que la création d’avocats spécialisés ne pouvait qu’accroître le coût du procès.

De même, en Suède, lorsqu’en 1971 la loi limita le rôle de la Cour suprême à la création de précédents, il aurait été naturel de poser le problème d’avocats spécialisés devant cette juridiction, mais cela ne fut pas le cas. La pratique montre cependant que la personne qui se défend sans avocat est désavantagée. Aussi, la Cour tient-elle compte du fait que le demandeur n’a pas d’avocat lorsqu’elle statue sur la recevabilité du recours, car il lui est difficile de créer un précédent si elle ne peut pas s’appuyer sur une argumentation juridique solide.

Dans cette situation, l’absence d’avocats spécialisés constitue un obstacle à l’examen par la Cour d’affaires qui auraient pourtant pu donner lieu à des arrêts posant des question de droit intéressantes ou inédites.

Mais il est vrai également que si la représentation par un avocat spécialisé était rendue obligatoire, le nombre de recours diminuerait certainement tandis que la proportion de ceux qui seraient déclarés recevables augmenterait corrélativement.

Une réflexion est actuellement menée dans ce pays pour qu’une telle réforme puisse être combinée avec de nouvelles règles d’octroi de l’assistance judiciaire, l’idée étant que, lorsque le recours est déclaré recevable, c’est à l’Etat plutôt qu’aux parties qu’il revient d’assumer le coût du développement de la jurisprudence.

De façon générale, l’approche comparative à laquelle nous avons tenté de nous livrer aura également révélé ce qui pourrait apparaître comme un paradoxe.

B - Le "paradoxe"

En effet, d’un côté, pratiquement tous les systèmes prévoient une représentation obligatoire des parties devant la Cour suprême, dont le principe et les modalités sont admis par la Cour européenne des droits de l’homme ; mais d’un autre côté, très peu nombreux sont ceux qui en confient l’exercice, voire le monopole, soit à un barreau spécialisé soit à des avocats qui, sans être inscrits à un barreau spécifique ou constituer un corps particulier, sont eux-mêmes spécialisés.

Il convient évidemment de s’interroger sur les raisons de cette situation.

Elles sont, a priori, difficiles à dégager car elles n’apparaissent dépendre ni de la taille du pays et du nombre d’avocats qui y exercent ni, plus généralement, de la conception que l’on se fait du recours en cassation, dont nous avons pu voir au détour de ce rapide survol des différents systèmes qu’elle reposait partout sur un recours en droit.

Mais nous savons également que, pratiquement partout, ont été mises en place, avec plus ou moins de succès, des procédures tendant à limiter le nombre des recours portés devant la Cour suprême face à l’affluence, voire l’encombrement qui confine parfois à l’engorgement, dont elles sont souvent victimes, et que l’existence d’avocats spécialisés peut, pour les raisons qui ont été indiquées, contribuer à contenir.

C’est sans doute ce qui explique que, dans cette réflexion sur les moyens de juguler les nombre des pourvois, non seulement, le monopole d’avocats spécialisés n’est pas remis en cause mais, encore, son extension est parfois réclamée, dans une sorte d’ "alliance objective" entre les juges et les avocats à seule fin d’améliorer la qualité de la décision rendue et, plus généralement, de la justice en contribuant, finalement, à donner tout son sens au principe du contradictoire.

Ainsi, aux deux arguments traditionnellement avancés pour justifier, selon le cas, soit l’existence d’un monopole de la représentation de parties devant la Cour suprême, soit l’existence d’un barreau ou d’avocats spécialisés, qui invoquent la compétence particulière des avocats spécialisés et la technique spécifique du pourvoi, vient s’ajouter un troisième lié à un filtrage harmonieux des pourvois.

C’est ce qu’écrit en toutes lettres le rapport rédigé par le Premier Président de la Cour de cassation de Belgique selon lequel la disparition du monopole actuellement en vigueur entraînerait différents inconvénients liés, notamment, à la diminution du filtrage, à la baisse de qualité des mémoires, à des honoraires incertains ainsi qu’à l’indemnisation coûteuse des charges ainsi supprimées ; ce plaidoyer n’exclut pas, cependant, que le rédacteur du rapport se déclare favorable à une réflexion sur la réorganisation du corps qui lui permettrait de s’ouvrir davantage à des jeunes avocats, tout en laissant à ceux âgés de plus de soixante-dix ans la possibilité de continuer à exercer leur activité.

En Italie, il est préconisé une réforme qui viserait à réduire le nombre des avocats -au nombre, actuellement, de 33.000- qui sont spécialisés devant la Cour de cassation.

A l’inverse, des arguments sont présentés pour rejeter la spécialisation :

Le rapport de la Grèce présente comme un obstacle à l’établissement d’un corps d’avocats spécialisés l’ancienneté du système de quota qui permet aux avocats d’intervenir devant la cour suprême et le nombre important d’avocats inscrits au barreau (18.000 pour le seul barreau d’Athènes).

En République tchèque est privilégiée la relation existant entre le client et son avocat, qui repose avant tout sur la confiance et, écrit le rapporteur, sur le fait que "cette confiance ne suppose pas uniquement des connaissances professionnelles mais également une dimension personnelle, des qualités de chaque avocat ; de ce point de vue, le droit de choisir son avocat ne peut être réduit".

La situation de l’Irlande révèle cependant que dans les systèmes qui font prévaloir un principe de libre accès à la justice, l’absence d’avocat, et singulièrement d’avocat spécialisé, peut parfois constituer un handicap pour le plaideur.

Les parties qui se défendent elles-mêmes ne sont, en effet, pas familiarisées avec le procédure et sont rarement capables de présenter leur argumentation d’une manière rationnelle et juridique, de sorte que leur affaire s’enlise souvent et qu’elles obtiennent rarement satisfaction, malgré l’aide et le conseil qui leur sont généralement apportés par la juridiction. Il en résulte un travail supplémentaire pour les juges et le personnel judiciaire mais il s’agit là d’une conséquence nécessaire de la valeur accordée au libre accès à la justice.

A l’opposé, sans aller jusqu’à préconiser la création d’un corps d’avocats spécialisé, le rapport de l’Espagne relève que le ministère public étant spécialisé devant la chambre pénale de la Cour suprême, cette situation est à l’origine d’une inégalité flagrante dans la maîtrise de la technique du pourvoi en cassation entre l’accusation et la défense au préjudice de ces dernières, et suggère, pour y remédier, que soient imposées certaines conditions de qualification et d’ancienneté aux avocats représentant les parties devant la Cour suprême.

La question, aussi brutale puisse-t’elle apparaître, ne doit-elle finalement pas être posée de savoir si l’encadrement de l’exercice du pourvoi, par les différentes techniques que nous connaissons tous, n’est en fin de compte pas davantage garante des droits du justiciable que l’absence de toute limitation ?

Pour reprendre la réflexion émise dans le rapport de l’Allemagne, on peut, en effet, se demander si "garantie et égalité d’accès à la Cour suprême mènent alors souvent à une voie sans issue" ?

JHERING, éminent juriste allemand, évoquait déjà "la procédure, soeur jumelle de la liberté".

Pour autant, il ne faudrait pas perdre de vue que la procédure n’est qu’un moyen destiné à faire triompher le fond du droit et qu’à trop s’abriter derrière la procédure, la Justice risque de manquer son office.

Paris, le 5 mars 2004.

Renée Koering-Joulin, Conseiller à la Cour de cassation.

Pascal Lemoine, Christophe Soulard, Conseillers référendaires à la Cour de cassation.

R. PERROT, "Droit judiciaire privé", Dalloz, 2001, n° 506 p. 432.

J. PRADEL, "Droit pénal comparé", Dalloz, 2001, n° 495, p. 624.

3. Par l’effet de l’entrée en vigueur de la Directive 98/5 du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998.

4. J.O. n° L 077 du 14 mars 1998, p. 36.

5. Aff. 427/85, Rec. Jur., 1988, p. 1123.

6. Aff. Gillow C/Royaume Uni, 24 nov. 1986 (A. 109, § 69).

7. Solution réaffirmée notamment par un arrêt Slimane-Kaïd n°2 (27 novembre 2003) qui, se démarquant des énonciations de l’arrêt Kress (7 juin 2001) a déclaré qu’était contraire à l’article 6.1 la "présence" (et non la "participation") du commissaire du gouvernement au délibéré du Conseil d’Etat (§20).

8. Voisine, 8 février 2000 ; Meftah et al. 26 juillet 2002.

9. Adde Richen et Gaucher, 23 janvier 2003 et Duriez-Costes, 7 octobre 2003.

10. Elle avait déclaré le contraire dans un arrêt Aerts c. Belgique (30 juillet 1998) mais "la circonstance que M. Aerts était tenu d’être représenté par un avocat fut décisive" (§41 de l’arrêt Gnahoré).

11. Cf déc.rec.partielle Kroliczek c. France, 14 septembre 2000, req. n°43969/98 (BAJ du Conseil d’Etat).

12. Cf. en ce sens l’article 47 al. 3 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne énonçant : "Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice"