Discours de M. Le Vice Président Frattini, à l’occasion du séminaire de travail des membres du réseau des présidents des Cours Suprêmes de l’Union Européenne avec les représentants des institutions de l’Union Européenne
Mardi 22 novembre 2005, Bruxelles
Madame et Messieurs les présidents,
· C’est un réel honneur que vous nous faites aujourd’hui, en tant que Présidents des plus hautes juridictions des Etats membres de l’Union Européenne, de participer à ce séminaire de travail avec les institutions européennes, et je me réjouis que votre réseau ait eu l’idée de cette rencontre. · L’espace judiciaire européen. Les premières réalisations de l’espace judiciaire européen sont maintenant effectivement appliquées dans les Etats membres, qu’il s’agisse du domaine civil (par exemple, le règlement Bruxelles II bis sur la responsabilité parentale), ou du domaine pénal (mandat d’arrêt européen). Le rôle des praticiens, et tout particulièrement des Cours suprêmes est déterminant pour assurer l’effectivité de la construction de l’Espace de liberté, de sécurité et de justice. · L’environnement de l’action législative. Nous avons au cours des dernières années connu une phase d’intense activité législative, nécessaire pour développer cette nouvelle branche de l’activité européenne. Le programme de La Haye, et le plan d’action adopté en juin dernier par le Conseil et la Commission prévoient d’une part de continuer l’action législative, particulièrement en mettant l’accent sur la reconnaissance mutuelle, mais ils insistent également d’autre part sur ce que j’appellerai « l’environnement de l’action législative », et particulièrement sur l’évaluation de la mise en œuvre des mesures adoptées, et sur le renforcement de la confiance mutuelle. · L’action législative à venir. En ce qui concerne notre action législative à venir, le développement de la reconnaissance mutuelle tant en matière civile, qu’en matière pénale restera un axe fondamental de notre action. · Un facteur d’efficacité. Contrairement à la coopération pénale, la justice civile relève du « premier pilier », domaine dans lequel, on applique la méthode communautaire avec une implication pleine et entière du Parlement européen et de la Cour de justice. C’est un facteur d’efficacité. · Le domaine civil depuis cinq ans. La Commission est globalement satisfaite des progrès accomplis dans le domaine civil depuis cinq ans. Sur initiative de la Commission, pas moins de neuf règlements et deux directives ont été adoptés depuis 2000. · L’objectif final. Notre objectif final, afin d’assurer la reconnaissance mutuelle en matière civile, est l’abolition de l’exequatur. · Une action dans deux directions. Nous proposons une action dans deux directions. · L’exequatur. Nous allons d’abord étendre le champ de la suppression de l’exequatur à d’autres décisions judiciaires :
Le Conseil débat actuellement d’un nouvel instrument proposé par la Commission dont l’objectif est de simplifier et accélérer le règlement des litiges de faible importance et créant une procédure européenne pour les litiges internationaux. Ce texte devrait abolir les mesures intermédiaires faisant obstacle à la libre circulation des jugements ainsi obtenus.
Par ailleurs, en matière d’obligations alimentaires, touchant à la vie quotidienne des citoyens, la Commission présentera avant la fin de cette année, un texte visant à améliorer le recouvrement effectif des pensions alimentaires dans les Etats membres et à supprimer l’exequatur des décisions en matière alimentaire.
Approfondir la reconnaissance mutuelle. Ensuite, nous allons approfondir la reconnaissance mutuelle en traitant des matières,telles les testaments et les successions, ainsi que des conséquences patrimoniales des couples mariés et non mariés. Il s’agit de domaines pour lesquels il n’existe pas encore de législation communautaire, mais nous sommes conscients de leur importance pour les citoyens. En 2005, nous avons publié un livre vert sur les successions et testaments relatif à tous leurs aspects de droit international privé, y compris le droit applicable. Début 2006, nous publierons un second livre vert sur les effets patrimoniaux des mariages et des autres formes d’unions.
« Rome II ». Par ailleurs l’harmonisation des règles de conflits de lois, contribue à renforcer la confiance mutuelle. La Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles sera modernisée avant la fin de cette année. J’espère que ma proposition de Règlement "Rome II", sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, puisse être adoptée en 2006. En droit de la famille, nous nous apprêtons à adopter une initiative législative suite à la publication cette année d’un livre vert sur la loi applicable au divorce.
L’exécution des décisions judiciaires. Nous menons enfin d’autres travaux, tout aussi essentiels, sur des mesures visant à rendre plus effective l’exécution des décisions judiciaires. Elles porteront sur les mesures conservatoires et la transparence des patrimoines (avec notamment la création d’une saisie bancaire européenne).
Le Réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale. Je tiens à souligner que l’action de l’Union en matière civile tend aussi à renforcer la coopération entre les autorités judiciaires des Etats membres et à améliorer l’accès à la justice pour les citoyens, particulièrement à travers le développement du Réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale. · La matière pénale. Enmatière pénale notre action visera tant la phase préalable au procès pénal que la phase d’exécution des décisions de justice. Ainsi, nous discutons actuellement au Conseil une proposition de la Commission, le mandat d’obtention de preuves, visant à favoriser l’obtention des preuves dans les procédures pénales entre Etats membres de l’Union Européenne. Il sera complété en 2007 par un autre texte, afin d’aboutir à un mécanisme unique d’obtention des preuves sur le territoire de l’UE, remplaçant l’entraide judiciaire. · Nous travaillerons également sur la reconnaissance mutuelle des décisions définitives. o Il s’agit premièrement de favoriser l’information mutuelle sur les condamnations, et nous avons entamé des travaux sur ce qui a été, par facilité, nommé « casier judiciaire européen », mais qui consiste en réalité en un mécanisme informatisé d’échanges d’informations entre casiers judiciaires nationaux sur les condamnations pénales. o En second lieu nous souhaitons permettre la prise en compte des condamnations prononcées dans un Etat membre par les juridictions des autres Etats membres, à l’occasion d’une nouvelle procédure pénale (question de la récidive), et également faciliter la reconnaissance mutuelle des déchéances. o En troisième lieu, nous travaillerons sur la possibilité d’exécuter dans un Etat membre une décision d’emprisonnement prise dans un autre Etat membre. o Enfin, nous jetons les bases sur la question de la détermination des compétences juridictionnelles et de la prévention du Ne bis in idem lorsque des juridictions de divers Etats membres peuvent se trouver compétentes pour poursuivre une même affaire. La Commission publiera prochainement un livre vert, et nous serions très heureux de recevoir vos contributions sur les questions qu’il abordera. · Renforcer la confiance mutuelle. Nous envisageons également de rapprocher certaines normes procédurales par exemple la présomption d’innocence, ou le recueil de la preuve, afin de renforcer la confiance mutuelle, si nécessaire au bon fonctionnement de la reconnaissance mutuelle. · Un des apports important du programme de La Haye est, par ailleurs, d’insister sur l’évaluation de la mise en œuvre des politiques de l’Union et sur la confiance mutuelle. Sur ces deux points, un réseau tel que le vôtre peut jouer un rôle important. · Il s’agit de remplir deux objectifs : – 1. évaluer les besoins concrets de la justice, notamment identifier quels sont les obstacles potentiels, préalablement à l’adoption de nouveaux instruments ; et – 2. évaluer les conditions pratiques spécifiques de la mise en œuvre des instruments adoptés par l’UE, en particulier les « bonnes pratiques » et notamment la façon dont ils répondent aux besoins identifiés dans la phase préalable. · Cours Suprêmes : un réseau important. Ces deux objectifs nécessitent un renforcement des outils d’analyse des pratiques judiciaires dont dispose la Commission. En particulier, je vous incite à participer en tant que Cours Suprêmes aux consultations que nous organisons sur divers sujets liés à la coopération judiciaire à l’occasion des livres verts que nous publions régulièrement. Un réseau tel que le vôtre est un instrument tout à fait privilégié d’identification et de diffusion des « bonnes pratiques » afin de rapprocher les méthodes du travail judiciaire entre les Etats membres. Enfin bien sûr le travail d’analyse de la jurisprudence développée dans chacun des vos Etats à propos des instruments de l’Union, est essentiel à l’évaluation de l’impact des mesures prises. Votre initiative de base de données jurisprudentielles est à cet égard tout à fait précieuse. · Un troisième objectif de l’évaluation pourrait être de procéder à une analyse plus générale des conditions dans lesquelles sont élaborées les décisions de justice afin de s’assurer qu’elles répondent à des standards de qualité élevés permettant de renforcer la confiance mutuelle entre systèmes judiciaires. La crédibilité et l’efficacité d’un système judiciaire doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, portant à la fois sur les mécanismes institutionnels et sur les aspects procéduraux. C’est là assurément une démarche délicate qui doit respecter les principes de subsidiarité et de proportionnalité ainsi que l’indépendance du judiciaire. Le Parlement européen a adopté une recommandation sur ce sujet en février 2005, et votre réseau avait contribué aux débats qui se sont déroulés sur ce sujet. La Commission élaborera en 2006 une communication sur l’évaluation de la mise en œuvre des politiques de l’Union dans le domaine de la justice après une concertation étroite avec les organisations et les institutions judiciaires. Nous aurons l’occasion de travailler de nouveau avec vous. · Le renforcement de la confiance mutuelle est un autre axe important de nos travaux à venir. Votre projet de base de données de droit comparé va dans ce sens en permettant d’accéder aux décisions des Cours suprêmes, sur une série de sujets d’intérêt commun, qui me semble être particulièrement intéressants. · La formation constitue par ailleurs un enjeu essentiel et les Cours suprêmes me semblent avoir un rôle d’impulsion tout à fait crucial pour renforcer la participation des juges à des actions de formation ayant une dimension européenne. Je me réjouis de savoir que vous coopérez déjà avec le Réseau européen de formation judiciaire pour participer au programme d’échange à l’intention des magistrats. Le développement du principe de reconnaissance mutuelle a pour conséquence de donner à la décision judiciaire un impact qui s’étend bien au-delà des frontières nationales. En conséquence la dimension européenne de la fonction judiciaire doit être pleinement prise en compte par les autorités judiciaires, et intégrée dans les cursus de formation. Le programme-cadre sur les droits fondamentaux et la justice qui couvre la période 2007-2013 donnera à l’Union les ressources nécessaires pour renforcer son action en matière de formation judiciaire, et la Commission adoptera avant la fin de l’année une Communication sur ce sujet. · La détermination de la Commission à vous aider. Enfin bien sûr, des réseaux tels que le vôtre contribuent, au plus au niveau, et en tant que tel, au renforcement de la confiance mutuelle entre les autorités judiciaires et ceci dans l’intérêt des citoyens de l’Union. Vous pouvez être assuré de la détermination de la Commission à vous aider. Les propositions de la Commission dans le cadre des perspectives financières 2007-2012 prévoient d’ailleurs la possibilité de soutenir des associations poursuivant des objectifs d’intérêt européen comme la vôtre. Je vous souhaite donc beaucoup de succès dans vos travaux, aujourd’hui et dans les années à venir