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Letter d'information n° 19/2011

Le budget des cours suprêmes de l’Union européenne, Synthèse Sofia, le 13 octobre 2011

Les ressources budgétaires des cours suprêmes de l’Union européenn

La gestion du budget des cours suprêmes de l’Union européenne

Les incidences de la conjoncture économique européenne sur le budget des cours suprêmes de l’Union européenne

Editorial

Président András Baka

Je profite de la parution du dernier numéro de l’année 2011 de notre lettre d’information pour vous exprimer combien j'ai apprécié la période de notre collaboration depuis que j’ai rejoins le Réseau et combien j'ai été honoré par votre soutien lors de mon élection en tant que Président du Réseau au cours de notre dernière Assemblée générale tenue à Sofia le 13 Octobre 2011. Cependant, comme vous le savez, le 28 Novembre 2011, le Parlement hongrois a adopté une nouvelle loi sur l'organisation et l'administration des tribunaux. Une de ses dispositions transitoires stipule que «le mandat du président de la Cour suprême et le Président du Conseil National de la Justice [...] doit être résilié dès l'entrée en vigueur de la loi fondamentale ", dont la date a été fixée au 1 Janvier 2012.

Ainsi, mes fonctions de président de la Cour suprême prennent fin trois ans et demi avant l'expiration normale de mon mandat. En conséquence, ma participation au Réseau s’achèvera également à cette date.

Conformément à nos Statuts et à la tradition selon laquelle le président sortant propose le nom du prochain président du Réseau, j'ai le plaisir de relever que le conseil d'administration, sur ma proposition, a accepté de soumettre à nos Membres le nom de M. Geert Corstens, président du Hoge Raad des Pays-Bas, actuellement vice-président et trésorier de notre Réseau, pour agir en tant que président du Réseau à compter du 1er Janvier 2012. Je lui souhaite ainsi qu’au Réseau plein succès pour les activités futures.

Le budget des cours suprêmes de l’Union européenne, Synthèse(1) Sofia, le 13 octobre 2011

M. Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation (France), a présenté au cours de la conférence que le Réseau a tenue à Sofia le 13 octobre 2011, le rapport général suivant :

L’Union européenne traverse une crise économique majeure. Dans un climat marqué par la crainte d’une récession et nourri des menaces que « la crise de la dette » fait peser sur l’avenir de la zone euro, le discours politique se teinte des couleurs sombres de l’austérité et de la rigueur. Las des atermoiements de trop nombreux États, la réalité économique est venue rappeler l’urgence du retour à un équilibre budgétaire trop longtemps reporté sine die.

Sous la pression de la conjoncture économique, l’heure est à la réduction de la dépense publique. Dans un tel contexte, il est apparu opportun de revenir sur la question du financement de l’activité des juridictions suprêmes de l’Union afin de compléter le rapport qui y avait été consacré en 2006 sous la plume de M. Lech Gardocki, au regard notamment de l’impact de la situation économique présente sur le budget des cours suprêmes du réseau.

Ces dernières ont très majoritairement répondu au questionnaire qui leur a été adressé(2). La synthèse proposée de leurs réponses s’articulera autour de trois axes, abordant préalablement les ressources budgétaires des cours suprêmes (I) et les modalités de leur gestion (II), avant d’apprécier les incidences budgétaires de la conjoncture économique européenne actuelle (III).

I – Les ressources budgétaires des cours suprêmes de l’Union européenn

Avant d’envisager les différentes façons dont les juridictions suprêmes consomment leur ressources (C), il convient de resituer l’origine de celles-ci : toutes les cours sont dotées au moyen de fonds publics émanant du budget de l’Etat (A), mais certaines d’entre elles présentent la particularité de pouvoir bénéficier d’autres catégories de ressources (B).

A – La nécessaire dotation publique des cours suprêmes

L’indépendance financière d’une juridiction suprême apparaît naturellement comme l’une des conditions majeures de son indépendance institutionnelle. C’est pourquoi la mise à sa disposition d’une enveloppe budgétaire, prise sur le budget de l’État, permettant de couvrir ses frais de fonctionnement peut être tenue pour un standard minimum au regard du principe démocratique de séparation des pouvoirs. Cette norme paraît globalement respectée dans les États de l’Union, bien que des progrès puissent encore être réalisés pour parvenir à une pleine indépendance financière de l’ensemble des juridictions suprêmes européennes(3).

L’on constate, en effet, qu’il demeure des pays dans lesquels la cour suprême ne dispose pas de ressources propres. On ne saurait, en de tels cas, parler d’indépendance financière, faute pour la juridiction de pouvoir disposer par elle-même des fonds destinés à permettre son fonctionnement. La situation est moins problématique lorsque l’absence de ressources propres a un champ limité : il en est notamment ainsi en France et en Slovénie, où certains investissements immobiliers relèvent du ministère de la justice (dépenses supérieures à 60 000 € pour la cour de cassation française, construction de nouveaux bâtiments pour la cour slovène), ainsi qu’en Lituanie (où certains investissements relèvent également du ministère de la justice). Elle est plus préoccupante lorsque la gestion budgétaire échappe totalement ou presque à la cour suprême, situation qui paraît concerner au moins trois pays : la cour de cassation belge voit son autonomie financière limitée aux menues dépenses et aux frais de représentation ; la cour supérieure de justice du Grand-Duché du Luxembourg n’a aucun budget propre ; la gestion financière de la cour suprême espagnole relève principalement du ministère de la justice.

Bien qu’elles ne disposent pas de ressources propres, la situation des cours suprêmes du Danemark, d’Irlande et de Norvège est intermédiaire en ce que leur gestion relève d’une autorité judiciaire indépendante de l’exécutif (direction des services judiciaires au Danemark [The Danish Court Administration], service des tribunaux en Irlande [The Courts Service], direction nationale des juridictions en Norvège [National Courts Administration]).

Le degré d’indépendance financière d’une cour suprême peut également être apprécié au regard des modalités théoriques et pratiques du processus au terme duquel est arrêtée son enveloppe budgétaire, et plus particulièrement de la possibilité qu’à la cour suprême d’y prendre part, par exemple, en préparant et défendant un projet de budget en relation avec le pouvoir décisionnaire. Cet aspect de la question ayant été l’un des thèmes centraux abordés par M. Lech Gardocki dans son rapport cité supra (note 1), il y est renvoyé pour plus ample analyse.

B – Les ressources des cours suprêmes autres que les fonds publics

Le montant des fonds publics affectés à la cour conditionnant son autonomie financière, il peut être utile pour elle de compléter l’enveloppe allouée par des recettes propres, lorsqu’une telle possibilité lui est offerte. Les cours suprêmes n’ont, en majorité, pas recours à des financements autres que leur dotation annuelle sur le budget de l’État. Certaines juridictions ajoutent que cela leur est formellement interdit (Belgique et Roumanie). Lorsqu’elles sont autorisées, ces ressources distinctes des fonds publics peuvent être allouées à titre gratuit, par voie de donation, ou onéreux, en contrepartie d’une prestation.

La première catégorie peut prendre la forme de donations matérielles. Pour illustration, la cour suprême allemande bénéficie de donations d’ouvrages des maisons d’édition ou des auteurs (311 600 € en 2010), en application d’une réglementation administrative sur le financement de l’activité fédérale par les personnes privées (le directeur de la bibliothèque de la cour peut accepter seul les donations jusqu’à 5 000 €, mais doit recueillir l’accord du ministère de la justice au-delà).

Elle peut aussi prendre la forme de dotations financières. Celles-ci émanent parfois de fondations caritatives (il en est ainsi au Danemark, à la condition que la donation ne compromette pas l’indépendance de la cour vis-à-vis des intérêts politiques, économiques ou financiers). Il peut s’agir également de fonds étranger reçus, notamment, dans le cadre de la participation à des projets internationaux (c’est le cas pour les cours lettone et slovène, cette dernière précisant avoir bénéficié de fonds norvégiens, de la banque mondiale ou émanant de projets européens). En Espagne, les activités extrajudiciaires du tribunal suprême peuvent être financées par des institutions privées, selon des accords signés par le conseil général du pouvoir judiciaire. Les ressources extrabudgétaires sous forme de donation ou de fonds étrangers sont également autorisées en République tchèque lorsqu’un texte le prévoit expressément.

Il est important de toujours garder à l’esprit que le développement de la dotation des cours suprêmes par des fonds privés n’est pas sans poser le délicat problème de l’indépendance de la juridiction à l’égard de ses mécènes. L’on observe fort heureusement que des garde-fous sont généralement prévus par les réglementations applicables pour prévenir de possibles dévoiements.

La seconde catégorie concerne les fonds reçus en rémunération d’un service. Celui-ci peut consister en une fourniture de documentation sous format papier, comme la vente par la cour de ses propres publications – bulletins, rapport, etc. – (Estonie, France, Lituanie, Portugal) ou la réalisation de copies d’archives ou de documents (Lettonie), de même que sur support électronique (le fonds de concours de la cour de cassation française propose ainsi aux éditeurs juridiques ou à toute personne intéressée – contre rémunération fixée par arrêté du ministre de la justice – la communication électronique des décisions contenues dans ses bases de données au regard de critères définis par l’abonné ; le tribunal suprême de justice portugais met également à la disposition d’entités privées des informations issues de ses bases de données jurisprudentielles).

Certaines cours suprêmes mettent leurs locaux à disposition contre rémunération selon diverses modalités (ex : location par la cour estonienne de ses sous-sols à une entreprise de restauration, par la cour française de salles d’audience pour la tenue de colloques ou par la cour suprême du Royaume-Uni de ses locaux pour des réceptions).

L’apport de fonds extérieurs peut être ponctuel (c’est le cas lorsque, comme en Estonie, il provient de la cession d’actifs corporels). Il est généralement régulier lorsqu’il résulte de la fourniture de services payants qui sont intégrés à l’activité habituelle de la cour. Même en de tels cas, la part des ressources alternatives reste le plus souvent très marginale. La situation de la cour suprême du Royaume-Uni paraît, cependant, faire exception de ce point de vue : elle a développé, dans le cadre de la politique générale de valorisation des actifs de l’État mise en place dans le pays en 1998 (Wider Markets Initiatives) différentes activités au caractère commercial plus affirmé, telle la vente de souvenirs, générant, semble-t-il, d’importants revenus.

C – L’affectation des ressources budgétaires des cours suprêmes(4)

Lorsque la rémunération de ses magistrats et agents est à la charge de la cour suprême(5), la masse salariale constitue de très loin le principal poste de dépense oscillant entre 60 % (Slovénie) et 94 % (Lettonie) du budget total des juridictions. Le paiement des traitements revêt d’ailleurs, pour la plupart, un caractère prioritaire, conformément à la Recommandation n° R (94) 12 du comité des ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges, adoptée le 13 octobre 1994(6).

Les dépenses afférentes aux moyens mis à la disposition des magistrats pour leur travail ressort comme l’autre préoccupation budgétaire majeure(7). Il s’agit essentiellement des frais engagés en matière de documentation et d’équipement (surtout informatique). Le souci documentaire peut se manifester en direction tant des magistrats que du public, professionnel ou non : en France, la cour de cassation consacre ainsi 14,8 % de son budget de fonctionnement hors loyers à son service de documentation chargé de la gestion de ses différentes publications, de la mise à jour de ses bases de données et de celle de son site internet.

La préservation de l’environnement de travail est, de même, prise en considération par nombre de cours suprêmes qui consacrent une partie de leur budget à l’entretien des locaux. L’immobilier peut constituer un gros poste budgétaire, particulièrement quand la cour est locataire de tout ou partie des locaux qu’elle occupe, comme c’est le cas en Autriche, au Danemark, en Finlande, en France, en Norvège ou aux Pays-Bas.

Au-delà de ces trois grands domaines (salaires, outils et environnement de travail) d’autres postes budgétaires d’importance moindre peuvent être signalés, comme les dépenses en matière de formation professionnelle, les frais de déplacement, de représentation ou ceux de communication.

II – La gestion du budget des cours suprêmes de l’Union européenne

Pour exercer les responsabilités qui sont ordinairement les siennes en la matière (A), le président de la cour suprême est habituellement assisté d’un service budgétaire (B), l’un et l’autre étant tenus à une bonne gestion objet de divers contrôles (C).

A – Le rôle du président de la cour suprême dans la gestion de son budget

Dans la majorité des cas, le président de la cour suprême est responsable de la gestion du budget de celle-ci(8). Il est alors assisté dans cette tâche par un service de gestion budgétaire et peut déléguer tout ou partie de ses pouvoirs au magistrat ou fonctionnaire qui dirige ce dernier (comme en France, en Italie, en Norvège, au Portugal ou en République tchèque).

Il se peut cependant que, par exception, le président n’exerce aucun rôle dans la gestion financière de la cour. Il en est ainsi à Chypre, en Espagne, au Luxembourg et au Royaume-Uni. Le cas de l’Irlande est intermédiaire : le président de la cour n’a aucun pouvoir budgétaire en tant que tel mais il préside le conseil d’administration du service des tribunaux – The Courts Service – qui gère matériellement toutes les juridictions du pays.

Les pouvoirs financiers du président de la cour peuvent, enfin, être limités : en Autriche, il ne peut autoriser certaines dépenses, eu égard à leur nature ou à leur montant, qu’après avoir obtenu l’agrément du ministre de la justice ; en Belgique, il ne gère de façon autonome que les budgets consacrés aux menues dépenses (39 000 € en 2011) et aux frais de représentation (10 000 € en 2011).

B – L’organisation du service budgétaire des cours suprêmes

Il doit tout d’abord être relevé que certaines juridictions suprêmes ne disposent pas d’un tel service interne. La raison peut en être que la gestion du budget relève d’une autre institution. C’est le cas en Espagne (où le ministère de la justice gère le budget du tribunal suprême en lien avec la direction technique de ce dernier), en Irlande (où la gestion de toutes les juridictions relève du service des tribunaux – The Court Service), ou au Luxembourg (dont la cour suprême ne dispose pas de budget propre). L’absence de service budgétaire peut également résulter de ce que les tâches budgétaires sont effectuées par le secrétariat du président de la cour. Il en est ainsi en Autriche et en Belgique, où les pouvoirs financiers du président sont limités, comme il a été vu supra.

Les services budgétaires des cours suprêmes sont généralement dirigés par des fonctionnaires (il peut s’agir du secrétaire général de la cour comme au Danemark ou en Finlande), plus rarement par des magistrats (comme en France ou en Italie). Ils sont composés majoritairement de fonctionnaires ou greffiers, souvent spécialisés, dont l’équipe est parfois renforcée par des agents contractuels (ainsi en Allemagne, en France, en Roumanie ou en Slovaquie).

La plupart des services comportent moins de 5 personnes, ceux des juridictions suprêmes autrichienne, portugaise, tchèque et slovène moins de 10 personnes, ceux des cours hongroise et polonaise moins de 15 personnes, les services budgétaires des cours française et roumaine comportant respectivement 28 et 26 personnes. L’absence de cohérence des chiffres rapportés n’autorise malheureusement aucune comparaison. A titre d’exemple, pour gérer des budgets nominalement similaires, le service budgétaire de la cour finlandaise emploie un fonctionnaire en sus du secrétaire général quand celui de la cour hongroise mobilise 14 fonctionnaires et celui de la cour tchèque 5 fonctionnaires. Il s’en déduit que les tâches confiées aux différents services ne sont pas qualitativement et/ou quantitativement équivalentes. Pour illustration, si le service administratif, de gestion budgétaire et informatique de la cour de cassation française comprend 28 personnes, seules 11 sont affectées à des tâches proprement budgétaires ou financières les autres se répartissant entre les services informatique, d’exploitation et de maintenance.

La mise en œuvre du budget alloué à la cour par le service budgétaire devra, en principe, respecter le cadre normatif de droit commun résultant tant des règles générales de la comptabilité publique que des lois de finance applicables dans le pays concerné. Dans certains États membres s’applique également une réglementation comptable spécifique au ministère de la justice (comme en Allemagne, au Danemark et en Hongrie) ou à la cour suprême (en Autriche, un décret du ministre de la justice définit le champ de l’autonomie de la cour en matière budgétaire ; en Belgique, des circulaires arrêtent les règles applicables aux budgets « menues dépenses » et « frais de représentation » gérés directement par la cour).

C – Le contrôle de la gestion budgétaire des cours suprêmes

La gestion financière de la cour, quel que soit l’organisme dont elle relève, peut se révéler fautive ou abusive. Des contrôles budgétaires doivent pouvoir être exercés de façon préventive ou a posteriori. Dans le premier cas, il s’agit généralement d’un contrôle interne comptable(9). La cour suprême allemande bénéficie d’un système original de contrôle automatique de la dépense prenant la forme d’un logiciel prévenant tout dépassement des ressources allouées.

Le contrôle effectué a posteriori peut consister, tout d’abord, en un contrôle budgétaire de droit commun – que l’on retrouve dans la quasi-totalité des cas – effectué par la cour des comptes (ou l’organe qui en tient lieu), le parlement ou le ministère des finances ou du budget. Il peut s’agir ensuite d’un contrôle émanant du ministère de la justice (Belgique, Croatie, Finlande et République tchèque) ou d’une autorité judiciaire indépendante (comme celui exercé par la direction des services judiciaires danoise – The Danish Court Administration – ou la direction nationale des juridictions norvégienne – The National Courts Administration).

En cas de fautes de gestion, les gestionnaires publics peuvent relever de divers régimes de responsabilité : disciplinaire, pénale, civile ou administrative. S’il est hautement probable que la plupart des pays européens ont intégré à leur arsenal répressif des infractions susceptibles d’être constituées à l’occasion de la gestion d’un budget public (ex : détournement de fonds publics, favoritisme, corruption, faux en écritures publiques, etc.), peu de réponses mentionnent expressément cette possibilité (en l’espèce, seules celles des juridictions suprêmes d’Autriche, de Belgique, de Croatie, de Finlande, de France, de Lituanie et de Slovaquie). Pareillement, rares sont les réponses évoquant la possibilité de condamnations civiles à des dommages-intérêts (Autriche, Finlande, France) ou de mise en jeu d’une responsabilité administrative (Lituanie) quand bien même de tels dispositifs sont vraisemblablement courants.

C’est très majoritairement à la responsabilité disciplinaire des gestionnaires publics que se réfèrent les réponses au questionnaire. L’on doit pouvoir en déduire qu’elle est perçue comme la plus adaptée à la sanction des fautes de gestion. Elle peut être exercée au regard des règles gouvernant le statut des fonctionnaires (comme en Estonie ou en Slovénie) ou de la réglementation du travail (ainsi en Lettonie, en Norvège, aux Pays-Bas, en République tchèque ou en Slovaquie). Les sanctions évoquées dans les réponses s’échelonnent de l’avertissement (Pays-Bas, Pologne) au licenciement (Slovaquie) en passant par l’amende (France, Italie), les réductions de salaire (Roumanie, Slovaquie) ou l’interdiction des fonctions en lien avec l’administration de fonds publics (Pologne).

III – Les incidences de la conjoncture économique européenne sur le budget des cours suprêmes de l’Union européenne

L’analyse des réponses apportées par les différentes juridictions permet de mesurer l’ampleur (A) et la variété (B) des effets de la crise économique sur les budgets de ces dernières, tout en autorisant le constat rassurant de la préservation – à ce jour – des moyens de travail mis à la disposition des magistrats (C).

A – Une crise économique dont les effets sont perceptibles mais inégaux

Il ressort assez nettement des questionnaires que le contexte général actuel de crise économique en Europe a eu des effets perceptibles sur le budget de la majorité des cours suprêmes de l’Union(10), directement ou dans le cadre plus général de la mise en œuvre de politiques générales de réduction des dépenses publiques(11).

On observe cependant une grande disparité quant aux conséquences concrètes d’ores et déjà constatées. A titre d’illustration, certaines cours font état de fortes diminutions de leur budget global (de l’ordre de 30 % pour la Lituanie entre 2008 et 2011 et de 10 % pour l’Italie en 2010 et la Slovaquie en 2011) quand l’effort sollicité d’autres juridictions suprêmes paraît plus restreint (réduction de 0,70 % du budget du ministère de la justice belge, augmentation des dépenses publiques cantonnée à 1 % en Pologne).

Par ailleurs, si plusieurs juridictions suprêmes affirment ne pas ressentir de conséquences budgétaires directes liées à la crise(12), le détail de leurs réponses confirme, en réalité, pour la plupart la tendance générale. En effet, la cour suprême autrichienne s’attend à une stagnation de son budget pour le prochain exercice, se traduisant notamment par un gel des salaires ; la haute cour finlandaise constate que sa situation est moins difficile que celle des juridictions inférieures ; la cour de cassation française précise ne pas subir de contrainte budgétaire au prix de l’adoption volontaire d’une politique de rationalisation de ses dépenses ; la cour suprême slovène, enfin, reconnaît la diminution contrainte de certaines dépenses, en particulier en matière de formation professionnelle.

Au final, seules les juridictions suprêmes du Luxembourg et de Norvège ne subissent pas, à ce jour, d’effets perceptibles de la crise économique sur leurs finances. La cour fédérale de justice allemande considère, pour sa part, prudemment que les conséquences actuelles de la crise économique ne peuvent être estimées.

B – Les principaux postes budgétaires affectés par la crise

Si tous les secteurs de la dépense peuvent être touchés par les restrictions budgétaires (Italie, Lettonie, Royaume-Uni ou Slovaquie), certains sont plus particulièrement concernés. La masse salariale apparaît, à cet égard, comme la principale variable d’ajustement en période de crise, ce qui se comprend aisément s’agissant du principal poste budgétaire. Deux voies sont empruntées pour la diminuer : la réduction des effectifs ou celle des salaires(13).

La première est généralement privilégiée(14). Elle peut prendre des formes diverses. A titre d’exemples, en Belgique, la publication des postes vacants a été différée et l’augmentation du nombre des référendaires, présentée comme nécessaire pour faire face à l’augmentation du nombre des pourvois, a été refusée ; en France, le non remplacement systématique de tous les fonctionnaires mutés ou retraités conduit à des vacances de postes ; en Italie, ce sont les effectifs du centre de documentation électronique, en charge de la maintenance du site internet de la cour, qui ont subi une compression ; aux Pays-Bas, les chambres de la cour se sont vues retirer chacune un magistrat malgré l’augmentation du contentieux. La situation irlandaise, bien que ne concernant pas seulement la cour suprême, mérite d’être mentionnée. En effet, le service des tribunaux irlandais a obtenu des gains de productivité permettant de faire face aux réductions d’effectifs grâce à une rationalisation des moyens et des méthodes judiciaires, plus particulièrement dans deux domaines. En matière d’immobilier judiciaire, des regroupements géographiques de juridictions (compensées par la création d’audiences foraines dans les matières nécessitant une plus grande proximité, tel le droit de la famille) ont généré des gains de temps « judiciaire » permettant de traiter plus d’affaires ; dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, le développement des échanges dématérialisés et de la vidéoconférence a permis de libérer un nombre important d’ETPT (équivalents temps plein travaillés – full time equivalent staff).

La seconde, dont l’on conçoit les difficultés de mise en œuvre, a pourtant été suivie par huit pays(15), allant du simple gel des rémunérations (Autriche, Estonie et Pologne) à des baisses de salaires (comme en Italie pour les trois prochaines années) se révélant particulièrement importantes dans certains cas (baisse des salaires de 10 % subie par les employés – magistrats ou fonctionnaires – du tribunal suprême de justice portugais et de 25 % des rémunérations des magistrats des juridictions suprêmes de Lituanie et de Roumanie).

Sont également concernées de manière récurrente les dépenses d’investissement dans les domaines immobilier (Belgique, Chypre, Estonie ou République tchèque) et informatique (Belgique, Croatie, Lettonie, République tchèque ou Slovaquie) et les dépenses de fonctionnement, qu’il s’agisse du fonctionnement courant – telle la maintenance des équipements (à l’exemple du Danemark) – ou des achats de matériel (comme en Espagne, en Hongrie, en Lettonie ou en Roumanie) ou de véhicules (à l’instar de la cour française qui a vu leur niveau de gamme restreint). Outre le diminution quantitative des fonds alloués, les économies recherchées se traduisent souvent, pour ces types de dépenses, par l’étalement ou le report d’opérations pourtant jugées nécessaires : travaux immobiliers non exécutés et mise à jour informatique retardée en Belgique, numérisation du système judiciaire reportée en République tchèque, renouvellement des équipements effectué par étapes en Hongrie, etc.

Au-delà des postes budgétaires essentiels que sont les salaires, les dépenses d’investissement et celles relatives au fonctionnement des cours suprêmes, des économies peuvent être recherchées ponctuellement dans tous secteurs : dépenses en matière de formation professionnelle (Croatie, Slovaquie ou Slovénie), de communication (Estonie), de recherche jurisprudentielle (Lettonie), de documentation (Belgique, Royaume-Uni ou Slovaquie), de réception (Slovénie), etc.

C – Une crise n’ayant pas ou peu altéré les moyens de travail à la disposition des magistrats

Les effets budgétaires de la crise que traverse l’Europe ont nécessairement un impact sur les conditions de travail des magistrats, ce que soulignent certaines cours suprêmes (Belgique, Croatie, Espagne, Roumanie, République tchèque et Slovaquie), mettant en avant, pour l’essentiel, des difficultés de logement, des restrictions affectant les dépenses en équipements informatiques et une baisse des crédits de documentation.

La majorité des juridictions interrogées concluent pourtant à l’absence de détérioration des moyens de travail mis à la disposition des magistrats(16). A s’en tenir aux raisons évoquées par les cours ayant explicité leur réponse, cet état de fait peut être attribué, au moins pour partie, à une politique de rationalisation des dépenses visant à permettre la préservation les conditions de travail des magistrats(17).

Il apparaît ainsi que le contexte économique actuel tend à favoriser l’émergence d’une gestion plus active, voire « proactive », cherchant à convertir une menace budgétaire en opportunité d’accéder à une plus grande efficacité économique de la dépense : faire mieux avec moins, c’est-à-dire améliorer les outils de travail des magistrats et les processus judiciaires malgré la contraction des crédits (Finlande, France, Hongrie, Irlande ou Slovaquie).

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(1) Rédigée par M. Eloi Buat-Ménard, auditeur à la Cour de cassation, chargé de mission auprès du Premier président de la cour de cassation française pour la gestion administrative, budgétaire et informatique.
(2) Ont été exploités pour la présente synthèse les réponses des cours suprêmes d’Allemagne, d’Autriche, de Belgique, de Chypre, de Croatie, du Danemark, d’Espagne, d’Estonie, de Finlande, de France, de Hongrie, d’Irlande, d’Italie, de Lettonie, de Lituanie, du Luxembourg, de Norvège, des Pays-Bas, de Pologne, du Portugal, de la République tchèque, de Roumanie, du Royaume-Uni, de Slovaquie et de Slovénie. Les éléments adressés par la juridiction bulgare se détachant des questions posées, ils n’ont pu être pris en compte.
(3) Pour de plus longs développements sur cette question il est renvoyé au rapport de M. Lech Gardocki pour le deuxième colloque du réseau des présidents des cours suprêmes judiciaires de l’Union européenne (qui s’est tenu à Varsovie le 12 juin 2006) consacré au financement de l’activité des juridictions suprêmes des États européens. Il y était notamment indiqué : « A la lumière des réponses apportées, les cours suprêmes en Bulgarie, à Chypre, en Estonie, France, Irlande, Lettonie, Pologne, au Portugal, en Roumanie, Slovaquie, Slovénie et en Hongrie sont financièrement indépendantes. Par contre, les juridictions suprêmes en Autriche, Belgique, République Tchèque, Finlande, Grèce, Espagne, à Luxembourg, à Malte, en Allemagne, Écosse et en Italie manquent d'indépendance financière. […] Les réponses concernant la situation des cours suprêmes au Danemark, au Pays-Bas, en Norvège et en Suède étaient moins précises (pas d’indépendance “complète”, mais en revanche une indépendance “dans une certaine mesure”) ».
(4) S’il était demandé aux cours de préciser les grands axes de leur gestion budgétaire, la question a très majoritairement été comprise comme ayant trait aux principaux postes de la dépense. C’est donc l’affectation des ressources qui est ici présentée et non la stratégie budgétaire des juridictions suprêmes.
(5) En Italie, les salaires sont versés directement par le ministère de la justice.
(6) Pour de plus longs développements sur cette question il est renvoyé au rapport de M. Lech Gardocki, p. 12.
(7) Ont répondu en ce sens les cours suprêmes d’Autriche, du Danemark, de Finlande, de France, d’Italie, des Pays-Bas, de Pologne, de Roumanie, de la République tchèque, du Royaume-Uni et de Slovénie.
 (8) Sont concernées les cours suprêmes d’Allemagne, de Croatie, du Danemark, de Finlande, de France, d’Italie, de Lettonie, de Lituanie, de Norvège, des Pays-Bas, de Pologne, de la République tchèque, de Roumanie, de Slovaquie et de Slovénie.
 (9) Ainsi, notamment, en Croatie, en Finlande, en France, en Hongrie, en Lettonie, en Lituanie, en Roumanie, en Slovaquie ou en Slovénie.
(10) Sont concernées les cours suprêmes de Belgique, de Chypre, de Croatie, du Danemark, d’Espagne, d’Estonie, de France, de Hongrie, d’Irlande, d’Italie, de Lettonie, de Lituanie, des Pays-Bas, de Pologne, du Portugal, de la République tchèque, de Roumanie, du Royaume-Uni et de la Slovaquie.
(11) De telles politiques sont notamment appliquées en Estonie (depuis 2008), en France (« révision générale des politiques publiques » lancée en 2007 visant à réformer l’organisation administrative du pays dans le sens, notamment, d’une diminution de la dépense publique), en Pologne (« règle disciplinaire » – disciplinary rule – introduite dans la loi de finance pour 2011 limitant à 1% l’accroissement des dépenses publiques), en République tchèque ou au Royaume-Uni (réductions budgétaires applicables à tous les ministères pour les quatre prochaines années).
 (12) Autriche, Finlande, France, Luxembourg, Norvège et Slovénie.                                     
(13) Ces deux voies pouvant au besoin se cumuler, comme cela semble être le cas pour la cour suprême lettone qui a subi une diminution de 20 % de ses effectifs et de 40 % de sa masse salariale.
(14) Sont concernées les cours suprêmes de Belgique, de Chypre, de Croatie, du Danemark, de France, d’Irlande, d’Italie, de Lettonie, des Pays-Bas, de la République tchèque, du Royaume-Uni et de la Slovaquie.
(15) En Autriche, en Estonie, en Italie, en Lettonie, en Lituanie, en Pologne, au Portugal, et en Roumanie.
(16) En ce sens, les cours suprêmes d’Autriche, d’Allemagne, de Chypre, du Danemark, d’Estonie, de Finlande, de France, de Hongrie, d’Irlande, d’Italie, de Lettonie, de Lituanie, du Luxembourg, de Norvège, des Pays-Bas, de Pologne, du Portugal, du Royaume-Uni et de Slovénie.
(17) Les outils de travail des magistrats (documentation et équipement, notamment informatique) sont une priorité de gestion pour beaucoup de cours suprêmes (cf. I – C).